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Par Jean-Pierre Ferrer Alors, ça, c’était une institution ! D’abord, les Fêtes de Pâques arrivaient après les Rameaux. Tous les Chrétiens, y le savent. D’autres les fêtaient à l’envers. J’ai jamais su pourquoi. Aux Rameaux, comme on était un peu païen et bien gourmand, on n’allait pas à la messe avec une branche d’olivier rien que pour se la faire bénir, mais avec un arbre, oui, carrément un arbre. C’était presque un sapin de Noël ! Il était doré et rempli de bonbons, de poulettes en chocolats, d’oranges confites et même de quelques jouets. Et on entrait avec ça à l’église ! Et, le curé, il nous le bénissait quand même. De toutes façons, si y voulait pas le faire, Sainte-Marcienne, elle restait vide. Ni lui, ni nous, on n’avait honte. Mais des fois, pendant qu’il nous racontait l’entrée de Jésus à Jérusalem sur un bourricot, nous, on défaisait doucement les papiers qui enveloppaient les chocolats et on les mangeait. Aussi, comme on ne voulait pas que ça se voit, on se dépêchait tellement d’avaler, que Marif, ma sœur, elle est arrivée à la maison la bouche toute colorée de brun et sa belle robe blanche, je te dis pas dans quel état elle était, parce que le chocolat fondait dans ses doigts, elle les suçait et ensuite, elle les essuyait sur la robe… Enfin, ce n’était jamais point qu’un épiphénomène, car le Dimanche suivant, nous célébrions Pâques. Pâques est une des plus grandes fêtes pour les Chrétiens et les Juifs, même si elle ne tombe pas le même jour.
Pour nous
Chrétiens, en Algérie, il était absolument inconcevable de terminer
ce repas de Fête, sans savourer la Mouna. Certains clients de la boulangerie de mon père venaient faire cuire les leurs dans notre four. Certains autres, les amis, utilisaient le fournil comme leur cuisine et pétrissaient ici même leurs gâteaux, avant de les enfourner et d’en surveiller la cuisson *** - -Jean-Pierre, tu arrives, oui ? On est tous dans la voiture, nous … -J’arrive ; je gonfle le ballon de volley. Je trouve pas mes palmes ; Tu les as prises ? -Mais non. On n’en pas besoin aujourd’hui. On va passer la journée à la Forêt des Planteurs avec Nanette, Marcel Perez et les Sintes. -A la forêt ? Y a pas assez de place à Sidi Ferruch, sur la plage ou quoi ? On va même pas se baigner ou aller au vivier manger des moules. Purée…C’est mieux, pourtant. On marche sur les passerelles en bois qui tanguent et on voit, dessous, les casiers à moules. Et ça sent bon la mer et l’iode; quand elle s’engouffre, la mer, on entend le cognement sourd des vagues dans le vivier. Et puis, c’est marrant, parce que, le bois, il est mouillé et il faut faire attention de ne pas glisser et se taper un plongeon entre les corbeilles. Y’en a même qui achètent du vin blanc de La Trappe et ils le boivent sur place avec les moules toutes fraîches que le marchand a ouvertes devant nous. Tu as vu comme il va vite, et il se coupe même pas. C’est pas comme toi, hein, papa ? -Et, fiston, tu te réveilles ou quoi ! On est à peine au mois de Mars et tu veux aller à la mer. C’est juste bon pour attraper un bon rhume de cerveau rien qu’en mettant les pieds dans l’eau. C’est pas de notre faute, si Pâques, cette année tombe si tôt. Allez, dépêche-toi, tu sais que j’aime pas être en retard. -Voilà, je suis prêt ! Je monte à l’arrière de la Juva-Quatre Renault Break, bleu ciel, immatriculée « 1456 AL 24 ». Il y a déjà Marif et je dois me serrer entre les paquets qu’il y a sur le siège et la vitre qui ne s’ouvre pas. Derrière nous, le coffre est plein. Le porte-bagages est, lui aussi, chargé. Tout est retenu avec une pieuvre élastique. Mon père vérifie, une fois encore, que tout est bien fixé. Rien ne peut bouger. -On emmène le truc en fer pour faire la paella, aussi ? -Oui, AUSSI. Et, attention quand tu mets ton ballon. Sous le torchon noué, il y a une plaque de coca à la frita. Elle est encore toute chaude. -On passe par où ? -Comme d’habitude. On va d’abord à Bab-el-oued, rue Montaigne; et on part tous ensemble de chez Nanette. Direction Mahelma, La Forêt des Planteurs. C’est le lundi de Pâques. On a fermé la boulangerie pour la journée, après avoir mis sur la porte, les volets en bois de couleur crème. La voiture sent encore la farine et l’odeur du pain livré dans la semaine. Il y a un peu de chapelure entre les sièges et sous les tapis de sol. Il fait beau. Déjà sur la route, d’autres voitures pleines comme des œufs, les portes bagages chargés de cannes à pêche ou de parasols, filent aussi vers les espaces de l’Ouest Algérois:Sidi Ferruch et Zéralda ; Heureusement, il n’est pas trop tard et la route du Frais Vallon, qui serpente jusqu’à l’intersection Bouzaréah-El-Biar, est dégagée. Tiens , ya toujours la pancarte de la laiterie SALVA. Nous filons tout droit, au croisement, en direction de Staoueli par la Traverse de Chéragas. -Papa, tu nous fais un petit 80 à l’heure ? -Il faut faire attention, car aujourd’hui avec la circulation qu’il va y avoir, à Radio-Alger, le speaker a averti qu’on serait surveillé par des verderons, un peu partout! -C’est quoi des verderons, Manman, demande Marif, c’est des insextes? -Mais, non; ce sont les gendarmes. Ils se cachent derrière les arbres ou les bosquets près des croisements, dans la verdure. Et, si un conducteur va trop vite ou s’il double une autre voiture quand il ne faut pas, ils sifflent pour nous arrêter et ils nous donnent une amende. -Ils sont gentils, alors, s’ils vous donnent des amAndes!… -Mais, non, cette amende-là, elle est tellement chère et lourde, qu’elle te donne une indigestion. C’est un procès.
-Dis, papa, on chante, ou tu nous fais des devinettes? -Eh bien, c’est une bonne idée. On va chanter: «C’est toi, ma petite folie…» -Ah! oui: «C’est toi, ma p’tite folie et tu klaxonnes au refrain, c’est ça?» -Allez, on y va tous: -C’est toi, ma p’tite folie! -Tut,Tut! nous accompagne la voiture, -Toi, ma p’tite folie! -Tut,Tut! -Mon p’tit grain de fantaisieeue.., Toi qui bouleverse, -Tut,Tut! -Toi qui renverseueueu, -Tut, Tut- -Tout ce qui était ma vie… -Maman, tu chantes faux! -Mais non, je n’ai pas la même oreille que vous, c’est tout. Les grands, ils ont toujours des idées, je sais pas où ils vont les chercher. Ca veut dire quoi, qu’elle n’a pas les mêmes oreilles que nous. Je demande à Marif, tout doucement, si nos oreilles, elles sont normales. Ben, oui, quoi! Alors, je soulève la chevelure de ma mère, pour regarder de près les siennes. -Aïe, tu me fais mal, tu me tires les cheveux! Qu’est-ce quelle raconte, elles sont comme les nôtres, ses oreilles! La grande ville est déjà loin derrière nous. Les maisons sur le bord de la route sont plus espacées. Certaines doivent avoir vue sur la mer de la colline, là en haut. Ils ont de la chance ceux-là, pensè-je en silence. Sur les coteaux, les immeubles ont fait place aux oliviers et aux orangers. Je me suis assis en appuyant mes bras croisés sur le dossier de ma mère. Je regarde la route, devant nous, qui traverse la plaine. Déjà, une légère évaporation émane du bitume et fait briller le goudron. C’est drôle, quand on approche et que l’on croit être dans la buée, elle a disparu et s’évapore encore plus loin devant nous. Je ne reste pas en place et je sens que je commence à impatienter mon père. Je change de position et mets la tête presque dehors. L’air frais me fait du bien. Je respire fort, car je commence à avoir mal au cœur. On arrive à Chéragas. Là, c’est toujours le même rituel: On s’arrête à Chéragas pour acheter de la soubressade chez le Charcutier à l’entrée du village. Elle est meilleure ici, tout le monde le sait, paraît-il. -Papa, on s’arrêtera, après, pour ramasser des feuilles de mûrier ? Tu sais, pour les vers à soie. Ils ne mangent que ça, et je ne sais pas où en trouver à Alger. Celles que j’ai dans la boite en carton, elles deviennent toutes sèches, que les vers, ils auront plus de force pour faire leurs cocons dans les coins de la boite à chaussures… Je descends de l’auto pour marcher et respirer un peu. Marcel Pérez, il était déjà là, depuis un petit moment car il avait une Aronde grise, 595 BW 91, alors il allait plus vite que nous. Je vais leur dire bonjour. Je fais la bise à Nanette, petite cousine de Maman, qui est toute contente de passer sa main dans mes cheveux coupés en une brosse très courte. J’embrasse aussi Anne-Marie qui a un an de plus que moi. Tiens! Elle a une copine avec elle aujourd’hui. Je ne l’ai jamais vue, elle. Marcel, il ressemblait un peu à Clark Gable ou Errol Flynn, car une légère moustache, bien taillée, ornait sa lèvre supérieure. Et, il se déplaçait avec grâce, élégance. Comme un dandy. On entend de la rue, Raymond Sintes et mon père qui plaisantent avec la charcutière. Raymond avait un short beige kaki et avait enfilé sous ses sandales des mi-bas blancs immaculés. Maguy, son épouse attendait avec ses deux filles dans leur voiture. Elle était impressionnante Maguy. Elle était aussi grande que ma mère et Nanette étaient petites. Raymond et elle, avaient de grands yeux marron très expressifs et rieurs. Marcel était Maître de chais, aux Caves Forga, à Bab-el-Oued, avenue Durando, à coté du marchand de vaisselle Cycluna, et Raymond travaillait chez Gras, l’Anisette. Là, je crois qu’avec ces deux pedigrees, on n’aurait sûrement pas soif, dans la journée. Bon, on reprend les voitures et on se remet en route. La sortie du village. Une intersection. On stationne sur le bord de la nationale. On tire les branches les plus basses et on arrache quelques rameaux. Derrière les arbres, des vignes à perte de vue… -Ca y est ; on a fait vite, non? Dans quelques kilomètres, on y sera; on entre dans la forêt. Il faut aller doucement car la route n’est pas carrossable tout le long. Déjà, d’autres familles ont installé leur matériel de pique-nique et ont délimité leur territoire en répartissant les tables et en séparant relativement bien les chaises pliantes, les unes des autres. Nous roulons toujours; la Juva grince à chaque bosse, et nous faisons semblant de sauter avec elle. Il nous faut atteindre la clairière, au fond. Les papas stationnent leurs voitures en arc de cercle. Nous descendons et commençons à courir. Les pins, les eucalyptus embaument. «C’est bon pour les bronches!», qu’elle dit ma mère. Le ciel est pur et le soleil commence à chauffer. -Oh! , les gosses où allez-vous? Venez nous aider à sortir les affaires -Pfff, Ils peuvent pas nous laisser tranquilles! De mauvaise grâce, nous retournons vers les automobiles et nous descendons des chaises pliantes métalliques vert pâle, très lourdes, la table assortie, les caisses avec les assiettes et les couverts… -Tu ne crois pas que tu vas pouvoir sortir la lessiveuse recouverte d’un sac de jute, tout seul? -Pourquoi pas, papa, qu’est ce qu’elle a de spécial? -Ma parole, tu as la tête vide, ou quoi? Tu es allé acheter, toi-même, tout à l’heure, avant de partir, un pain de glace chez Madame Moulet. C’est notre glacière, voyons! Il y a même des bouteilles qui rafraîchissent dedans! -Purée, c’est vrai! Mais on n’a pas pris de l’eau! -Tiens la bonbonne, celle recouverte d’osier avec les deux poignées, vous allez à la Maison du Garde Forestier. Il y a un puits avec une roue en fer. Vous tournez chacun votre tour et l’eau sort toute fraîche du tuyau. Allez, les enfants! Accompagnez Jean–Pierre! Et ne vous trempez pas!… Nous partons en chantant et en file indienne. Je suis le seul garçon. Je boude un peu. Je m’approche, à pas de loup, d’Anne-Marie pour lui faire des chatouilles dans le cou avec des aiguilles de pin. Elle écarte de la main l’insecte, qu’elle pense avoir sur la peau. Je recommence. Là, elle m’a vu et part en courant avec sa copine et en fredonnant une chanson de Johnny Hallyday, à la mode, en ce moment : « …de t’aiméé-er follement, mon amour, de t’aimé-er follement.. » Pendant ce temps, les hommes ont attaché une corde entre deux arbres pour jouer au volley ou au badmington. Ils ont aussi tendu une bâche, nouée aux quatre coins, aux troncs des pins, au-dessus des tables que les femmes ont alignées pour n’en faire qu’une seule. Nous aurons ainsi de l’ombre en mangeant. Un peu à l’écart, loin des arbres et des voitures, mon père et Marcel ont installé le « fourneau » pour faire la Paella. Fourneau ! Tu parles ! Un cercle en fer et quatre pieds. Raymond est allé dans les sous bois ramasser des branches bien sèches, pour faire lancer le feu. -José, oh, José ! Tu n’as pas oublié les mounas, au moins ? -Mais, bien sur que non ; Olga m’en a même fait faire avec un œuf au milieu ! On a aussi apporté des œufs en chocolats ! On va les cacher, là autour, et quand les gosses reviennent de la source, ils les chercheront. Et, vous verrez, des mounas comme ça, même à la pâtisserie « La Princière », ils savent pas les faire! -Raymond ! Ne les mets pas si haut, dans l’arbre, les chocolats, ils n’arriveront jamais, les gosses. -Aïe, Nanette, comme je t’aime comme ça, avec ton petit short ! s’exclame mon père. -Dis, toi, répond ma mère, je fais du rentre dedans à Marcel, moi ? Le feu commence à prendre sous la grande poêle où les femmes font déjà revenir la viande et l’ail. Ca commence à sentir bon quand nous arrivons avec la bonbonne pleine. -C’était lourd, dites, combien y a de litres là-dedans ? Et, en plus il fallait viser juste, car l’eau, elle coulait fort…Marcel, on fait une partie de volley ; j’ai bien gonflé le ballon en cuir… -Je vous rappelle, que c’est Pâques, et on a entendu les cloches passer ; Vous devriez chercher ce qu’elles ont caché, là autour … Marif et Martine se lancent dans les buissons à la recherche des œufs en chocolats légèrement dissimulés. Je pars de mon coté. Nous allons, çà et là, une petite demi-heure en criant de joie et en appelant les parents lorsque nous trouvons la grosse poule ou la cloche garnie d’autres petits œufs en sucre ou enrobés de papier aluminium multicolore. Il y avait même des petites mounas individuelles avec l’œuf au milieu et une petite croix de pâte pour bien le retenir. Anne-Marie et son amie reviennent bredouilles car elles sont allées trop loin, mais toujours en chantant le même air de Johnny. Aussi, les parents nous font un partage équitable de la cueillette. Ainsi, il n’y aura pas de jaloux. -Y’en n’a plus ? On va jouer au ballon ? On se répartit de chaque côté de la corde qui sert de filet, nous échangeons quelques balles. Les femmes en chœur : « Les hommes, allez ramasser du bois, le feu de la paella faiblit. Si ça continue, même les chipolatas en papillote, elles seront crues…Allez, dépêchez-vous ! Purée, va, c’est pas encore aujourd’hui que Marcel, il m’apprendra à smasher !.. J’emboîte le pas des grands et nous pénétrons plus avant dans la forêt en nous égratignant les jambes et les bras. Elle se fait un peu plus dense. Les broussailles plus serrées. Les brindilles craquent sous nos pas. Nous retenons les branches basses pour éviter aux suivants de s’écorcher la figure. Nous franchissons un petit ruisseau en sautant d’une pierre sur l’autre. C’est l’oued Beni-Messous ou Mazafran. Nous ramassons les branchages tombés à terre et les cassons en deux ou en trois à la longueur d’un avant bras. Il y a encore quelques arbouses rouges, sur le sol, mûres de l’été dernier, d’autres sont complètement sèches, toujours sur leur rameau. Nous revenons, les bras chargés de nos fagots. Nous sommes obligés de lever la tête pour ne pas la cogner ou de la pencher sur le côté pour voir où nous mettons les pieds. C’est Raymond qui ouvre la marche ; Il raconte des histoires auxquelles je ne comprends rien et qui font rire Marcel et mon père. Il rit lui aussi en se retournant pour voir sur nos visages l’effet de ses blagues. Tout en plaisantant, il avance sans se rendre compte qu’il est au bord du ruisseau. Il veut éviter une tige de ronce épineuse, glisse sur l’herbe humide ; il veut rattraper son équilibre, son pied bute sur un petit rocher à fleur d’eau qu’il n’a pas vu ; il part complètement en avant, fait des moulinets avec ses bras, ne retient plus le bois qu’il transportait et se retrouve assis dans la boue du petit oued, trempé jusqu’à la ceinture. C’est l’éclat de rire général ! Les quolibets fusent ! Raymond se relève en appuyant ses mains sur les pierres qui tapissent le fonds du cours. Il est dans un état ! Son short est mouillé certes, mais ses belles chaussettes blanches sont marron de vase et il dégouline de partout. Sa bonne humeur ne l’a pas quitté pour autant. Il rigole en mimant la réaction de Maguy, son épouse, quand nous serons de retour. Ce qui ne rate pas. Le pauvre Raymond est la risée de toutes les femmes et des filles. Maguy feint de le réprimander comme un enfant, mais elle finit comme tout le monde en se moquant de lui. Pendant notre absence, elles n’ont pas chômé les moukhères. La table est mise. L’anisette est prête. Pour la khémia, Nanette a sorti la soubressade, des olives Crespo et un plat de sardines en escabètche. L’odeur d’ail et de vinaigre nous fait saliver. La plaque de coca est découpée. Les hommes chargent un peu de bois sous la paella qui, elle aussi, dégage un parfum… Marcel met les chipolatas, bien enveloppée, près de la poêle de riz, au-dessus de la braise. C’est pas une khémia, c’est un repas complet ! Les petites saucisses cuisent dans le papier sulfurisé ; quand le papier commence à noircir, elles sont à point et, Marcel nous sert. Nous nous jetons dessus comme des voleurs en nous brûlant le bout des doigts. Les grands verres d’anisette, presque transparente pour les enfants, nous désaltèrent. Mon père fait claquer sa langue de plaisir. Raymond raconte ses exploits de plongeurs. Ses chaussettes sèchent, pendues à la corde qui délimite la surface du terrain de volley. Marcel et ma mère surveillent la paella. -Dis, Olga, tu as mis du Spigol ? Il a l’air un peu pâle ton riz… Mon père soulève la toile de jute qui recouvre la lessiveuse-glacière et en sort une bouteille de vin rosé recouverte de petites perles transparentes de fraîcheur. L’escabètche et la coca, avec ce rosé, c’est divin ! Raymond recule sa chaise et va aider Marcel à transporter la paella sur la table. Nous écartons nos verres, resserrons les assiettes, pour faire de la place. Puis soudain, à l’unisson, les bras se tendent, chacun avec son assiette en métal. Elle est belle, hein, cette poêle de riz? Et, il y a de tout : des crevettes, des moules, des petits boudins à l’oignon, des petits pois, du poulet, de l’échine de porc, des poivrons rouges. Le riz se détache bien et a une belle couleur jaune doré. Un silence d’appréciation se fait entendre. Le feu de bois lui a donné un goût sublime. Les verres se remplissent, se vident. La bouteille de rosé a rendu l’âme. Monsieur « Cave Forga » débouche un rouge, épais, tannique, mais qui se marie bien avec la paella. Le soleil, le vin, la joie d’être ensemble nous fait pouffer pour un rien. Raymond entonne : « Boire un petit coup, c’est agréa-ble ! », et tout le monde reprend en chœur. On aurait voulu chanter en canon, qu’on n’aurait pas mieux fait ! Personne n’est au même rythme ce qui nous fait tous marrer. -Vous croyez qu’avec tout ça, vous allez pouvoir manger la Mouna ? -Ne te fais pas de soucis ; avec le café, elle va descendre toute seule. Et, puis, de votre vie, je vous l’ai dit, vous n’en avez pas vu une pareille. -Tu as même pensé au café. -Oui, il est tout frais et bien chaud dans les bouteilles Thermos. Mon père se lève, se dirige vers l’arrière de la Juva et revient en tenant à bout de bras une plaque de boulanger recouverte d’un linge propre. Il la tient assez haute pour cacher jusqu’au dernier moment son contenu. D’un coup sec, il retire le torchon. Un profond silence. Tout le monde se regarde ne sachant que dire. La mouna, elle était si plate que la calentita aux pois chiches, elle est plus épaisse ! Et tout d’un coup, c’est le fou-rire général, les coups de sifflets, des bourrades, on se moque de José. Raymond, pieds nus, fait une danse du scalp autour de la table. Nanette, court derrière les voitures en serrant les jambes, elle n’en peut plus ! Marcel, qui avait sorti le champagne de la lessiveuse, ne s’en préoccupe plus et laisse échapper la mousse de la bouteille, arrosant Maguy. -Pouniette, je ne sais pas ce qui s’est passé. Elles étaient toutes comme ça ; elles ont fait tchouffa ! J’en avais fait au moins deux cents. Et bien, vous ne me croirez pas, il ne m’en reste pas une seule … -Tu les as données aux Petites Sœurs des Pauvres, ou quoi ?… -Pensez-vous ! Je les ai toutes vendues : Pour Pâques, c’est normal, j’ai fabriqué des auréoles !… ***** Haut de page LA VRAIE RECETTE DE LA MOUNA (Celle qui en fait des bien gonflées) 1/INGREDIENTS : Farine : 650 gr , Sel: 5 gr , Lait 20 cl, Levure de bière : 2 petits cubes Sucre : 200 gr , Beurre : 150 gr Œufs : 2 plus un jaune pour dorer Rhum : 1 traguette , Vanille : 1 baton. Citron 1 zeste rappé , Orange : 1 zeste rappé. 2/RECETTE Mettre la farine dans une jatte. Faire chauffer le lait avec le baton de vanille. Puis, oter le baton de vanille et ajouter tous les ingrédients en les remuant pour que le sucre fonde, et que la levure se dissolve. Verser le tout dans la farine progressivement Pétrir l’ensemble jusqu’à ce que la pâte ne colle plus aux doigts. Laisser la pâte gonfler en recouvrant la jatte d’un torchon propre, près d’une source de chaleur douce, durant trois bonnes heures. (Ma grand tante disait qu’il fallait la couvrir d’un pantalon, la braguette face à la pâte !) Quand la pâte a bien gonflé, façonner( confectionner) des boules , les mettre sur une plaque graissée et laisser encore se reposer 3 heures environ. Passer le jaune d’œuf au pinceau, couper la tête pas trop profondément, en croix avec des ciseaux. Saupoudrer de sucre en poudre. Faire cuire à four chaud. Vérifier l’état d’avancement de la cuisson en enfonçant un petit fil de fer (propre) dans le gâteau.Tant que de la pâte reste présente sur votre aiguille, votre Mouna n’est pas cuite. Alors, maintenant, allez-y et Bon dessert !!
Jean-Pierre Ferrer/ 8/10/2002 Haut de Page
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