HAMMAM

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Par Monsieur André Benzaken

Je rassure d’entrée, Madame Garson-Teboul, je n’ai pas l’intention de lui retirer la primeur de son article déjà paru dans MASCARA de A à Z, d’autant plus que je n’atteindrai jamais son excellent style. Seulement voilà, je n’ai pas gardé un souvenir aussi ému que le sien du hammam et je vais m’en expliquer ci-dessous 

Le vendredi après les classes et pendant l’hiver seulement, je devais me rendre au Bain Maure où je retrouvais ma mère et ma grand-mère et la séance de torture commençait, suivant un rituel quasi-immuable. Tout d’abord, j’étouffais littéralement sous l’effet de la vapeur d’eau saturante, ensuite, après l’inévitable dispute pour la place, le décapage commençait,  si toutefois il n’y avait pas de coupure d’eau.

C’est connu : la peau des petites filles est douce et soyeuse, mais celle des garçons est plus rugueuse et comme ils sont plus turbulents et qu’ils se  salissent davantage, il fallait gratter sec pour enlever la saleté de la semaine. Autant vous rappeler qu’à l’époque, peu de maisons disposaient de salles de bains, et que se laver à l’eau froide relevait de l’exploit. Donc, je poursuis, le lavage commençait par la tête, une première fois au savon de Marseille, suivi immédiatement du ratissage au peigne fin, en os s’il vous plait, car celui en métal ne venait pas à bout des bestiaux. Vous avez compris : il s’agissait des poux et de leurs lentes, espèce loin d’être en voie de disparition dans les écoles primaires ! Suivait le lavage du cuir chevelu au savon  doux, puis à la savonnette. Dop n’était pas encore parvenu jusqu’à Mascara, et le démêloir. Point de ghassoul ou de henné pour les garçons (heureusement !) Et cela continuait pour le corps, avec toujours la même séquence, savon de Marseille,  alpha rêche, savon doux, alpha doux, savonnette, lavette (gant de toilette) Bref, vous l’avez compris, je sortais de là,  tel l’écorché vif de la torture, et ni la gazouze ni les petits gâteaux secs ne me remettaient de ce que je pensais dans ma tête d’enfant, être une agression pure et simple de mon corps,  sans compter que la hammamdjia nous faisait régulièrement l’affront de nous jeter dehors, car c’était l’heure des hommes.

Et cela a duré jusqu’à l’âge de 12 ans : comme j’étais petit et maigrichon, ma mère pouvait tricher sur mon âge, elle l’avait déjà fait pour mon frère. Mais mon frangin, qui était très avancé pour son âge et très coquin, se régalait au Bain Maure en se rinçant abondamment l’œil de la nudité des petites jeunes filles qu’il croisait habillées sur le Boulevard.

Mon père a pris le relais pendant la guerre, Dieu merci, il était plus expéditif que ma mère. Une demi-heure, l’affaire était entendue. Il prenait surtout son kif en se faisant masser (je devrais dire écarteler) par le moutcho après le bain. Pendant les beaux jours et l’été, nous prenions des bains sur une petite terrasse, où mon frère avait aménagé une douche avec un tuyau de jardinage et une pomme d’arrosoir, avant d’avoir une salle de bain dans les années 50.

Encore un détail : le vinaigre, parlons-en ! Ce produit est à forte con-centration d’acide acétique. N’y connaissant rien au traitement du cuir chevelu, j’ai posé la question à mon coiffeur préféré. Il m’a confirmé que les produits à fort pH acide sont fortement déconseillés pour les cheveux. Conclusion, je ne crois pas que le vinaigre utilisé par nos mères rendait les cheveux plus soyeux, mais c’était plus pour éloigner les bestiaux qui représentaient un risque de maladie  (voir à T, comme épidémie de typhus) Aux bals du samedi soir, dans les villages autour de notre ville, lorsque nous dansions avec des jeunes filles. même à distance réglementaire, nous avions l’impression d’en être restés à la salade vinaigrette de notre dîner !

Je n’ai pas besoin de vous préciser que je n’ai plus jamais remis les pieds dans un Bain Maure, on dit maintenant bain turc ; mais je pratique, à l’occasion, la thalasso, c’est un traitement plus humain.

COUPELLES EN CUIVRE, MENTIONNEES PAR MADAME GARSON-TEBOUL, APPELEES DES TASSA EN ARABE, DU FRANÇAIS TASSES