L' oncle Batiste et son moulin

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L’ONCLE BAPTISTE ET SON MOULIN

Tant que j’y suis, je vais vous conter une petite histoire

vraie, qui montre à quel point la politique et les envieux

ont détruit, sinon une fraternité, du moins un art de vivre

ensemble.

L’oncle de mes parents possédait le moulin, à la sortie

de la promenade, au quartier Sidi Ali Mohamed. Tout le

monde l’appelait l’oncle Baptiste. Il était sourd comme

un pot (résultats du tic-tac de moulin) mais il comprenait

tout ce qu’on lui disait. Le moulin était ce qui se

nommait à l’époque moulin de mouture indigène, ce qui

signifie que les meules écrasaient plus souvent de l’orge

que du blé. Je me souviens, dans ce moulin où mes parents

ont habité, du bruit infernal de la trémie, actionnée

par la turbine, que faisait tourner l’oued Mierda.

Au milieu de ce bruit, ça discutait ferme et pour quelques

grammes de farine en moins, c’étaient des engueulades

à faire peur. On se croyait à la fin du monde, et

tout d’un coup, c’était le grand calme, parce que le plateau

en cuivre supportant les verres de thé à la menthe

ou de café à la cannelle arrivait, comme par miracle.

Alors, on s’asseyait par terre et on dégustait bruyamment

à longs traits le breuvage. On se séparait en s’excusant

mutuellement des écarts de langage, en promettant

que cela ne se reproduirait plus. La semaine suivante,

tout recommençait.

C’était ça, la vraie vie qu’on nous a volée. À bientôt,

pour une nouvelle histoire.

14 juin 1999